Premier soir

Alice trouva le dortoir des filles de deuxième année presque vide. La plupart étaient encore dans la salle commune. En fait il n'y avait qu'une seule fille qui semblait s'apprêter a se coucher. Alice lui adressa un petit bonjour avant de se diriger vers son lit a baldaquin. Le dortoir semblait d'autant plus vide, car seules les valises et les cages d'animaux posées ici (par les elfes, sans doute?) encombraient l'espace.

La Serdaigle s'assit sur son matelas et fixa le vide un instant. Elle n'avait pas vraiment envie de s'installer. Elle ne savait pas ce dont elle avait envie en fait, sauf une chose, bien sûr, mais qu'il lui était impossible de faire.

S'animant soudain d'une idée, elle ouvrit sa valise et en sortit des feuilles et un stylo moldu. Elle se rassit sur son lit puis se mit à écrire.

Hé, Ed! J'espère que tout va bien à Oxford!?

Les cours commencent dès demain et il est tard, mais j’ai pas envie de dormir. Le voyage était pas si mal, sauf cette histoire avec les nouveaux de première année… Toute une guerre, crois-moi. J’ai bien fait d’intervenir ou le pauvre se serait fait renvoyer quasi-illico ~~en tentant un sort~~ Et tout ça pour une histoire de je-ne-sais-plus-quoi… J’ai pas tout saisi ce qu’ils me racontaient, en fait, haha Bref, mon nouveau poste de préfète ne sera pas nécessairement de tout repos, mais ça me permettra d’organiser des trucs et tout… C’est bien, non?

Elle s'arrêta pour songer à la suite. Mais le stylo resta en suspens. Elle avait envie de lui écrire qu'elle s'ennuyait déjà. Que c'était déjà l'enfer ici et qu'elle voulait retourner chez elle à Oxford. Que rien sauf ses études n'arrivait à la rattacher à ici. Qu'elle en avait marre... Marre de lui cacher qu'elle était sorcière, la vraie raison de son départ à l'autre bout du pays. Marre d'être loin et de lui mentir!

Mais rien ne sortait parce qu'elle était orgueilleuse. Et parce qu'elle ne voulait pas l'embêter avec tout ça. Même s'il lui aurait dit que les amis sont faits pour ça. Non. Il fallait qu'elle se remette sur pied. Qu'elle passe au travers. Il fallait qu'elle y arrive. Et tant que rien n'était tenté... Elle ne devait pas se plaindre... Quoique... ça ne débutait pas vraiment très bien... Anna et Raph' ne faisaient que lui taper sur le système depuis leurs retrouvailles dans la matinée. Elles semblaient se soucier d'elle autant qu'elle-même se souciait d'elles: pas énormément. C'était vide et sec comme relation. Un désert qui venait justement de perdre un oasis.

Elle songeait justement à cette métaphore douteuse ou non lorsque la porte du dortoir s'ouvrit. Elle n'y fit pas attention et continua à vagabonder dans ses pensées. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien écrire? Après tout, pourquoi lui écrivait-elle!? Elle l'avait vu la veille. Il n'y avait rien à dire. En fait, elle savait. C'était son meilleur ami et elle avait l'impression d'avoir besoin de lui plus que n'importe quoi en ce moment... Elle lui écrivait pour le sentir plus près. Là, près d'elle, qui l'écoutait. Sans rien dire. Il la laissait tout sortir d'un coup, qu'elle bégaie ou qu'elle sanglote, il s'en fichait et il écoutait. Et à la fin, parfois il parlait, parfois non. Mais il était seulement là et il lui parlait avec ses yeux et ses bras et c'était tout ce qui comptait.

~> Arrive de la salle commune

Grace était montée au dortoir tout de suite après sa conversation avec Léane. Elle n'y trouva que deux filles, dont l'une était déjà couchée. L'autre, Alice, était assise sur son lit, concentrée devant un parchemin trop pâle (probablement un papier à la mode moldue). Grace ne dit rien, pour l'instant et se dirigea vers son lit. Elle commença à ranger quelques affaires puis, curieuse, elle dévisagea une Alice toujours songeuse.

Malgré la fatigue, Grace se sentait d'humeur à investiguer sur le comportement de ses pairs et, pour une raison qu'elle ignorait, elle trouvait celui d'Alice plutôt intéressant. Elle semblait livrée à une bataille intérieure pour trouver quoi inscrire sur cette lettre. À voir les quelques lignes déjà remplies, elle y avait été avec les banalités et ne savait pas comment terminer. Une note plus personnelle, sûrement. Pas comme une lettre aux parents qu'on leur envoie simplement pour les rassurer.

Grace se rapprocha doucement, pour ne pas être impolie, et la salua d'un sourire lorsqu'elle releva la tête.

- Tu écris à ton petit ami? lui lanca-t-elle d'un ton espiègle.

Alice failli faire une crise cardiaque. Bon, sans exagérer, du moins, elle crut manquer un battement… Elle releva la tête d’un coup sec et cacha par réflexe sa lettre en la retournant sur le lit. Elle avait été si absorbée par ses pensées qu’elle ne s’était même pas rendue compte que tout le monde pouvait voir ce qu’elle faisait, et ses émotions par-dessus le marché. Et dans ce cas-ci, c’était Grace Prewett.

- Et ça te regarde? demanda-t-elle en posant aussi son crayon d’un geste brusque.

Son ton s’était voulu calme et l’était au premier abord, mais il contenait une très grande pointe d’énervement. Elle réalisa qu'elle n'aurait peut-être pas du répondre ainsi, mais c'était déjà fait et, de toute façon, qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire..

Par honte plus que par colère (bien qu’il y en avait certainement…beaucoup), elle se leva aussitôt, prenant au passage sa lettre et le crayon qu’elle fourra dans sa valise avant de tenter d’y trouver son pyjama. Elle évita soigneusement le regard de Grace. Sans le vouloir, en plus de l’avoir dérangée, elle avait prononcé les mots qu’il ne fallait pas. Cela ne l’étonnait pas d’elle, c’était le genre de fille à bien aimer parler garçons, mode et magazines, d’ailleurs elle avait entendu que sa mère travaillait au Sorcière-Hebdo. Elle avait complètement manqué de tact. Et en plus, elle n’avait toujours pas trouvé ce qui avait mené le Choixpeau à la placer chez Serdaigle. Ce qu’elle pouvait être inintéressante…

Même sans fondements, les insultes continuèrent de fuser dans sa tête alors qu’elle fulminait toujours. En fait, réflexe bien naturel, elle aimait bien mieux rabaisser la Serdaigle que de laisser les mots de celle-ci occuper son esprit. Mais elle finit par manquer d’inspiration après avoir passé une bonne partie du règne animal.

*Partir. C'est tout ce que je veux, tout ce que je demande! ARGH! Où est ma p***** de brosse à dents?!*

- Et ça te regarde?

Grace fit un pas en arrière. Alice était énervée et Grace crut bon de s'ôter de sa trajectoire, au cas où. Elle ne la connaissait pas bien, mais ne l'avait jamais vue dans un tel état. Il fallait calmer le jeu. Une dispute avec sa préfète serait longue à faire oublier...

Elle sut au moins qu'elle avait touché une corde sensible. Elle ne se posa pas de questions sur les raisons de son comportement tout de suite, mais emmagasina l'information pour plus tard. Ça pourrait toujours lui être utile.

- C'était une simple question, répondit-elle, commençant aussi à bouillir malgré elle. Désolée, ajouta-t-elle pour camoufler le ton sec de sa voix.

Mais Alice ne l'écoutait déjà plus : elle tempêtait dans sa valise, cherchant quelque chose avec vigueur. Grace chercha comment réagir.

D'un côté, si elle retournait à ses occupations, Alice aurait toujours une dent contre elle... De l'autre, en essayant de réparer les pots cassés, elle risquait de s'enfoncer encore plus.

Elle voulut jouer la carte de la douceur et de la compréhension, même si elle avait quelque peu envie de sauter à la gorge d'Alice pour avoir osé lui répondre de cette façon, mais décida à la dernière seconde de tenter le tout pour le tout. Ce n'était que la première journée, au fond, elle aurait tout le loisir de s'expliquer avec Alice une fois qu'elle aurait retrouvé son sang froid, si ça ne marchait pas. Grace vérifia tout de même que l'autre fille présente dans le dortoir n'écoutait pas leur conversation.

Sans dire un mot, Grace alla s'asseoir en tailleur sur le lit à baldaquin d'Alice. Elle attendit comme ça quelques instants puis, juste avant qu'Alice ne se rende compte d'où elle était, elle poursuivit la discussion. Elle prit bien soin d'éviter le regard d'Alice, lorsque celle-ci se retournerait.

- C'est vrai que ça ne me regarde pas mais... moi aussi, je suis un peu triste de rentrer à Poudlard, mentit-elle avec assurance.

Aux dernières paroles de Grace, Alice se retourna vers elle pour découvrir qu'elle avait poussé le manque de tact à réengager la conversation ET à s'asseoir en tailleur sur son lit comme si elle allait y rester pour longtemps. Si elle serait seulement partie, elle l'aurait laissée tranquille, mais elle commençait vraiment à s'énerver au point qu'elle ne se reconnaissait plus vraiment. Il était assez rare qu'elle agisse sèchement de la sorte, sauf chez elle avec son frère... Jamais avec des gens de l'école.

Grace essayait de compatir avec ses «moi aussi»... Peut-être qu'elle devrait la remercier de s'en soucier, mais en fait...non. C'était exaspérant.

- Eh bien je suis désolée pour toi, répondit-elle du tac au tac. Et ce n'est pas ça du tout!! Alors si tu sais que ça ne te regarde pas, retourne t'occuper de tes affaires.

Même essai d'être calme... un peu moins réussi que le précédent. Elle retourna à sa valise et continua à farfouiller. Puis elle mit enfin la main sur sa brosse à dents. Elle pris aussi son pyjama qu'elle avait déjà posé près d'elle et se leva pour se diriger rapidement vers la salle de bain.

Bon, ça n'avait pas marché. Mais ce n'était pas si pire qu'elle l'aurait cru au départ : Alice n'avait pas brandit sa baguette magique et n'avait pas tenté de l'étrangler. Elle devait avoir meilleur caractère que prévu, alors!

Grace jugea donc bon de ne pas insister, comme elle avait déjà poussé sa chance. Elle soupira, ennuyée, et descendit du lit à baldaquin. Alice lui avait déjà tourné le dos et se dirigeait vers la salle de bain. Grace hésita, essayant de trouver quelque chose à répliquer, mais la porte du dortoir s'ouvrit à nouveau. Elle ne prit même pas la peine de regarder qui venait d'entrer et se contenta d'un « PSH! » muet dans le dos d'Alice.

Peut-être rappliquerait-elle lorsqu'elle sortiait de la salle de bain... Pour l'instant du moins, elle s'affaira à retrouver son calme en rangeant ses affaires.

Enfin seule, Alice s'arrêta pour souffler. Elle jeta un oeil dans le miroir. C'était elle, avec son uniforme, ses cheveux blonds, ses yeux bruns, avec cet air énervé et les traits tirés. Fatiguée. Elle resta là un bon moment immobile, à se regarder dans les yeux comme si elle y cherchait quelque chose, une réponse. Elle ne ressentait rien que l'indifférence, et c'était tout ce qu'elle voyait dans son reflet. Elle ne se trouvait ni laide, ni belle, ni rien. Mais elle cherchait toujours quelque chose qu'elle ne trouvait pas. Elle le chercha en se brossant les dents, ne tiquant même pas à l'air ridicule que ce geste lui donnait, en nouant ses cheveux, en mettant son pyjama. Et elle ne pouvait rien se trouver sauf le vide qu'elle ressentait depuis ce matin. Tout ce qu'elle savait c'était qu'il manquait quelque chose dans ces yeux qu'elle fixait et qu'elle avait été habituée à voir autrement. Et elle avait l'impression qu'il n'y avait que lui qui pouvait faire revenir tout ça. Mais il devait avoir autre chose... parce qu'il le fallait...

D'un geste de la main, comme si de rien était, elle essuya son oeil droit qui avait été le seul à réagir. Puis enfin, Alice brisa le lien entre elle et son reflet, toujours sans réponse. Un face à face avec elle-même, qui n'eut pas de vainqueur ni de perdant. Elle retourna dans le dortoir, n'adressant de regard ou de parole pour personne et se coucha dans son lit avant de refermer les rideaux. Et à défaut de trouver réponse en cherchant dans ses yeux ou son visage, elle chercha dans le bleu de ses draps, dans le bois de son lit, partout. Tout sauf dans sa tête ou dans son coeur parce que ça, elle ne pouvait pas et ne voulait pas les affronter maintenant.

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